La Source de Vérité

Dragan marchait depuis un long moment. Autour de lui, le décor semblait hésiter entre le vert des arbres qui se dressaient irrégulièrement dans le bosquet et le gris de la paroi rocheuse que le jeune homme suivait, inlassable. Alors qu'il marchait, il avait laissé libre cours à son esprit, qui vagabondait furieusement au gré de ses émotions. Son attention suivait un mouvement perpétuel, passant sans cesse du désintérêt le plus total à l'expression d'un désespoir dont l'origine lui semblait aussi ancienne qu'inconnue. Le chemin défilait lentement sous ses pas, infini, tandis qu'il songeait distraitement à tout ce qui lui était arrivé ces derniers temps. Tellement de choses... Certaines étaient plus importantes que d'autres, mais toutes, sans exception, étaient une preuve du changement de vie qu'il avait connu.
Aussi loin qu'il s'en souvienne, il avait toujours été seul. Lorsqu'il vivait à Kumo, il avait toujours connu la solitude assassine qui accompagne les gens différents. Au pays de la Foudre, sous la domination stricte des règles tout aussi implacables imposées par les conditions de vie terrifiante des habitants, le terme "différent" était devenu synonyme de "faible." Personne n'aimait les faibles, parce que les hommes faibles sont un danger qui plane sur la nation. Bons-à-rien, ils sont dans l'incapacité la plus totale de protéger leur pays; incapables de quoi que ce soit, il faut toujours les protéger, ce qui amène les autres à se mettre en danger. Ainsi, les citoyens du Village Caché des Nuages qui n'avaient aucune prédisposition, pas même le moindre petit détail, pour les arts Shinobis était considéré comme faible, et donc comme différent, et était "banni" de la société. Telle avait été l'enfance de Dragan. Il s'était révélé incapable de devenir Genin en même temps que ses camarades de classe, et aucun examen de rattrapage n'avait pu changer les choses. Il n'avait que très peu d'amis, les autres se méfiant de ses yeux rouges, mais cet échec insurmontable avait signé la fin de ses beaux jours. Sans aucune explication, ses rares amis l'avaient délaissé, par crainte d'être considérés comme faibles, eux aussi. Dès lors, le jeune Dragan n'avait eu de cesse de tenter de prouver sa valeur, et tout avait basculé le jour de son neuvième anniversaire. Ce jour là, il avait définitivement décroché le titre de "fléau interne de la nation." C'était également le jour où il avait hérité de cette cicatrice en forme de croissant de lune, qui lui rappelait chaque jour l'étendue de l'échec qu'avait été sa vie jusqu'alors. C'était le jour où Elle était morte, marquant un tournant décisif dans la vie de celui que tous rejetaient. Dragan n'oublierais jamais Son sacrifice. Plusieurs fois, il avait voulu en parler à quelqu'un, pour enfin partager ce poids qui l'écrasait chaque jour un peu plus; le poids de la culpabilité. Mais il n'en avait rien fait, et il avait fini par accepter son existence solitaire, insignifiante.
Telles étaient les pensées qui animaient l'esprit de Dragan. Lorsque ses yeux s'étaient ouverts sur la chambre de 18, peu avant l'aube, il avait tout de suite compris. Il s'était levé et habillé dans un silence pesant, seulement troublé par les battements de son coeur agité. Il était sorti de l'internat sans un bruit, comme un fantôme. Lorsqu'il était parvenu devant les grilles du Lycée, les gardiens lui avaient recommandé d'être de retour avant le début des cours. Le jeune homme avait hoché la tête, sans prononcer un mot, et s'était dirigé vers une petite forêt qui avait déjà attiré son attention quelques jours auparavant. Le soleil était levé, maintenant, et les cours avaient commencé depuis un bon moment. Sans lui.
Le chemin qu'il suivait, invisible depuis le sentier en contrebas, semblait s'étirer sans fin. Soudain, la paroi rocheuse qu'il longeait de la main s'interrompit, avant de reprendre presque aussitôt. Dragan s'arrêta. A sa droite, la montagne était fendue par un mince passage, creusé dans la roche par les intempéries et le temps. Cédant à une impulsion, l'étudiant se pencha et s'engagea dans ce chemin. Au fur et à mesure qu'il progressait, le passage s'élargit un peu, de sorte qu'il pouvait le franchir de front. Et puis il arriva au bout de la fissure. Il en resta bouche bée. Devant lui, là, au centre même de la montagne, se trouvait une petite vallée, emprisonnée par une cuvette rocheuse. Des arbres se dressainet partout, invincibles, et un lac brillait doucement dans la lueur du soleil. Une cascade s'y déversait, sauvage et indomptable. Un petit sentier sinuait devant Dragan, comme si la nature elle-même l'invitait à pénétrer dans son univers.
Incapable de résister, Dragan entama sa descente, et s'assit au bord de l'eau, contemplant la cascade d'un oeil émerveillé. L'eau, pure et cristalline, appaisa quelque peu son esprit tourmenté, et il resta ainsi longtemps. Il projeta son esprit sur le lac, carressant chaque remous d'un frôlement psychique.
Ce lieu était une véritable bénédiction, et l'avenir verrait son retour fréquent au pied de la cascade. Dragan l'ignorait encore, mais le destin lui réservait encore bien des moments de doute, et au fil du temps, ce lieu paisible, secret pour tous sauf pour lui, deviendrait comme une seconde maison, un sanctuaire où il pourrait se ressourcer et où il trouverait toujours un peu de réconfort. Il appela cette vallée "la Source de Vérité," car cet endroit lui redonnait toujours espoir et lorsqu'il se regardait dans l'eau limpide du bassin, il lui semblait apercevoir le reflet même de son âme, sans qu'aucune altération ne soit possible. Il voyait le vrai lui; Il voyait la vérité.
Plusieurs heures s'écoulèrent avant que le jeune homme ne reprenne le chemin du Lycée Akatsuki. Son esprit et son coeur étaient enfin paisibles.